« C'est vraiment une folie ! » Il est rare que des scientifiques éminents qualifient aussi brutalement le travail de collègues reconnus. Pourtant Roberto Kolter, qui tient ces propos à micro ouvert, n'a rien d'un alarmiste anti-science : à 60 ans, il est directeur d'un laboratoire réputé d'Harvard et présidait il y a peu la société américaine de microbiologie.
L'objet de son inquiétude ? Une série d'expériences visant à rendre contagieux des virus grippaux mortels, recourant à la fois aux techniques du génie génétique et à la sélection classique, qui se poursuivent depuis plus de deux ans en dépit de multiples protestations.
Et Kolter n'est pas seul : ils sont 56 scientifiques d'envergure, dont trois Prix Nobel, à avoir signé fin décembre 2013 une lettre publique adressée à la Commission européenne réclamant « une véritable analyse de risque » pour ces expériences. Qui exposent l'humanité, avertit l'épidémiologiste d'Harvard Marc Lipsitch, lui aussi signataire du texte, à la possibilité d'une « pandémie véritablement catastrophique (…) capable de faire des centaines de millions de morts ».
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DANS LES FOSSES NASALES DES FURETS
Or, pour ce que l'on en sait, un tel monstre biologique pourrait bien, d'ores et déjà, sommeiller dans un congélateur de l'université Erasmus d'Amsterdam ou de l'université du Wisconsin aux Etats-Unis, pour citer les deux institutions en pointe dans ces travaux.
Deux équipes devenues célèbres, dirigées respectivement par le Néerlandais Ron Fouchier et le Japonais Yoshihiro Kawaoka, y ont en effet rendu transmissibles les virus en question ; non pas chez des hommes, car les règles d'éthique en vigueur l'interdisent, évidemment ; mais chez… des furets. « Le furet est le mammifère de laboratoire dont le système respiratoire imite le mieux celui de l'homme, explique Vincent Racaniello. Il présente tous les symptômes humains, il tousse et éternue, ce que les souris ou même les singes ne font pas. »
Comment ont procédé les chercheurs ? Leurs manipulations, décrites en 2012 dans Nature et Science, les plus grandes revues scientifiques, ont consisté à introduire dans les virus, par génie génétique, quelques mutations, choisies « au doigt mouillé », dans le but de favoriser la transmission. Puis à déposer directement une solution concentrée de ces virus mutés dans les fosses nasales d'un furet.
Ensuite, les protocoles varient légèrement : Fouchier, pour essayer d'« apprendre » au virus à infecter un mammifère, a ainsi contaminé l'un à partir de l'autre dix animaux successifs (une pratique du reste connue pour augmenter la virulence de certains virus).
Kawaoka, quant à lui, s'est contenté des mutations qu'il avait introduites, sans chercher à en susciter de nouvelles. Mais, au final, dans les deux cas, ces « furets de l'apocalypse », comme ils furent surnommés, placés dans une cage à distance d'un congénère, sont parvenus à l'infecter. Sans aucun contact physique – expérience concluante, donc.
Les nouveaux virus, prestement mis en boîte et analysés par les chercheurs, sont formellement toujours des H5N1 et H7N9 – mais des H5N1 et H7N9 mutants, désormais transmissibles. Du moins chez le furet. Qui, certes, n'est pas l'homme, mais qui est l'animal que les scientifiques ont choisi pour s'en rapprocher le plus.
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Le Monde Science et techno
10.03.14
Virus mutants: les furets de la discorde
Le Monde | * Mis à jour le | Par Yves Sciama " C'est vraiment une folie ! " Il est rare que des scientifiques éminents qualifient aussi brutalement le travail de collègues reconnus. Pourtant Rob...
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